Au programme du FEST'ART Le
Clan du destin ou Mbëk mi L’émigration
clandestine sur les planches de Sorano
La grande première de la pièce de théâtre Le clan du destin ou Mbëk mi a eu lieu jeudi dernier au Théâtre national
Daniel Sorano. Mise en scène par Macodou Mbengue, la nouvelle création de la compagnie Les Gueules Tapées met sur les planches le problème de l’émigration clandestine.
Contribuer par un cri de désespoir, rythmé par le verbe et le corps, mais aussi donner la parole à ceux qu’on appelle des
clandestins pour qu’ils parlent d’eux-mêmes avec leurs propres mots, puisqu’ils sont les plus éloquents, les plus exhaustifs. C’est ce qu’a fait Macodou
MBENGUE, à travers sa pièce de théâtre Le clan du destin ou Mbëk mi, qui a été jouée jeudi dernier au Théâtre national Daniel Sorano.
L’histoire mimée par les comédiens en partenariat avec le Théâtre national Daniel Sorano, redonne en effet, une dimension humaine à ce drame qu’est l’émigration clandestine.
Inspiré des œuvres Tu ne traverseras pas le détroit de Salim Jay, La réclusion solitaire de Tahar Ben Jelloun, Le ventre de
l’Atlantique de Fatou Diom, cette pièce qui porte sur l’émigration clandestine a transporté le public, sur les bords de la Méditerranée où trois candidats à l’émigration se partagent le bonheur
de la traversée comme le malheur de mourir. Mais pourquoi veulent-ils partir ? Pourquoi tout le monde veut-il qu’ils restent ? La réponse à ces interrogations a été confessée sur cette scène,
avec l’apport de chaque clandestin qui avait son histoire propre et ses raisons de rêver d’une vie meilleure en Occident.
Faisant découvrir, chacun à sa manière, son univers, ces candidats à l’exil ont su, par un texte lyrique et des intonations de
voix tantôt douloureuses, tantôt courageuses, mais surtout par la force des mots, placer le public dans une posture d’appréciation du phénomène de l’émigration, dans ses moindres revers. La trame
du récit fait agir trois personnages qui tentent désespérément de regagner les rives du Nord réputé prospère. «Un jour, nous trouverons un jour terre en vue. Ce sera le jour où notre dignité
deviendra évidente à autrui... Nous ne seront plus surveillés comme des évadés repris de justesse.» Telle semble bien être l’ultime raison de vivre de ce «clan du destin», qui, fortuitement et au
cours d’une interminable attente d’un passeur, rencontre un homme de Dieu, que tout un village a supplié d’aller chercher ses fils disparu dans les flots de la clandestinité, avec son
cercueil.
Ce prêtre mi-figue, mi-raisin, parce que partagé entre la foi en Christ et les pratiques vaudous, va, avec l’appui d’un
policier, présent lui aussi sur les lieux, essayer de pousser les aventuriers aux découragements. Ils essayeront, chacun à sa manière et par des armes différentes, de dissuader les
clandestins à poursuivre leur aventure. Mais dans cette tentative de dissuasion, naîtra une solidarité, née de l’intérêt de chacun des personnages. «Partir ou rester ?» Tel est la vraie question.
Mais que faire ?
«A quoi cela ressemble-t-il d’avoir conquis le droit d’avancer, le droit de reculer, le droit de sauter, une ou plusieurs
cases», s’interrogent, face à ce dilemme et plus souvent, ces voyageurs qui n’ont cependant pas perdu de vue que «chaque miette de la vie doit servir à conquérir sa dignité». Pour eux : «Si tu es
déterminé, une seule pensée doit inonder ton cerveau. Partir loin.» Malheureusement, ce ne sera pas leur cas. Le chemin à parcourir restera encore long. Car, l’un des clandestins sous le coup de
feu du policier trouvera tragiquement la mort. Le choc est grand et pousse au découragement total dans ce «clan du destin». Les propos amusants et les discours quelques fois comiques des acteurs
de cette pièce théâtrale se transforment en cri de détresse. Dénouement malheureux ! Le plus grand mal de l’émigration clandestine venait ainsi de se produire : la mort.
Dans la salle, la musique jusque-là gaie se transforme en requiem, pour noter la tristesse du drame et amener chaque spectateur
à tirer une leçon de cette histoire plutôt pathétique. Et devant cet auditoire, le cercueil baptisé «pirogue à destination de la mort», transporté par l’homme de Dieu, a eu raison des émigrants,
pour avoir enfin recueilli le corps devant calmer tout un village de sa détresse. Heureusement que devant sa silhouette inerte, ses compagnons au voyage ont gardé de lui, une leçon de vie, qu’il
n’a pas manqué de leur léguer lors de cette malheureuse aventure : «J’ai piétiné la terre noire de l’ouest au nord… Partir sans se retourner. On ne retourne pas quand on marche sur la corde du
rêve.»
Interprété par Sadibou Manga, membre fondateur des «Gueules tapées», Anne marie Dolivéra de la compagnie F ’Ame, Pierre Koudédé
Seck, et Roger Sambou du Théâtre national Daniel Sorano, Le clan du destin mérite bien, de l’avis de certains spectateurs, d’être repris dans tout le Sénégal et partout en Afrique.
Gilles Arsène TCHEDJI - Source le
Quotidien